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Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/197

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Quelle étrange chaleur nous vient ici brûler !
Sommes-nous transportez sous la zone torride,
Ou quelqu’autre imprudent a-t-il lâché la bride
Aux lumineux chevaux qu’on voit étinceler ?

La terre en ce climat, contrainte à panteler,
Sous l’ardeur des rayons s’entrefend et se ride,
Et tout le champ romain n’est plus qu’un sable aride
D’où nulle fresche humeur ne se peut exhaler.

Les regards furieux de l’âpre canicule
Forcent même le Tibre à périr, comme Hercule,
Dessous l’ombrage sec des joncs et des roseaux.

Sa qualité de dieu ne l’en sauroit défendre,
Et le vase natal d’où s’écoulaient ses eaux
Sera l’urne funeste où l’on mettra sa cendre.


L’inséparable ami du vieux père Faret, dont le nom rime si souvent à cabaret, et du pâle et morne Bilot, qui souffle la fumée du petun par les narines, sait aussi, quand il le veut, s’élever au style le plus grave et le plus ferme, et je n’en veux pour témoins que ces vers qui sont dans le Moïse :


Le barbare insolent, armé d’une zagaye
Humide et rouge encor du sang de mainte playe,
S’avance le premier, et de son bras nerveux,
La dardant à Moyse, effleure ses cheveux ;
Le bois en vain jeté passe comme un tonnerre
Et se fiche en tremblant plus d’un pied dans la terre ;
De la faute du coup l’Égyptien paslit,
Et la rage déçue en sa pasleur se lit.

Moyse, agile et roide, en même temps l’enfonce,
Et d’un acier qui brille et qui le meurtre annonce,
L’esblouit et lui porte un horrible fendant
Qu’il oït, non sans effroy, siffler en descendant.
Il esquive, il recule, et monstrant son adresse,
Saute, l’épée au poing, vers l’Hébreu qui le presse :