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L’un charge, l’autre pare, et du glaive soutient
Le tranchant furieux qui contre lui revient.
Des fers entre-heurtez il sort mainte étincelle ;
Icy l’un se tient ferme, et là l’autre chancelle,
Et quoiqu’en ce combat leurs corps soient désarméz,
Ils n’en sont pourtant pas au choc moins animéz.

Tous deux grands, tous deux forts, à la palme ils prétendent ;
Le pied, l’œil et la main se suivent et s’entendent ;
Le bras s’accorde au cœur, l’art répond au désir ;
Et de reprendre haleine ils n’ont pas le loisir.
Les ruses, les détours, les surprises, les feintes,
Et tout ce que l’escrime en ses vives atteintes
A de hardy, d’affreux, de brusque et de cruel,
Se mettent en pratique en cet aspre duel.

Mais quoique le payen vaillamment se comporte,
Quoiqu’il paraisse adroit, il ne l’est point en sorte
Que du glaive ennemy, formidable à ses yeux,
Le ravage mortel ne l’offence en maints lieux.
De douleur et de honte il forcène, il blasphème,
Il se renfrogne, il hurle, et d’un dépit extrême,
Décochant à Moyse un regard de travers,
Lui lasche sur la tête un rapide revers.
Moyse qui l’observe et qui voit qu’il s’allonge,
Loin à l’écart du fer, à chef baissé se plonge.

Le fer rencontre un pin, y marque son erreur,
Et l’arbre, atteint du coup, tonne et frémit d’horreur.
Le payen, confondu de voir que son épée
S’est en ce grand effort à son poing échappée,
Tourne viste à Moyse, et sur lui se jetant,
Des jambes et des bras le saisit à l’instant.

Moyse le reçoit ; à la lutte ils se nouent,
Ramassent leur vigueur, des mains s’entre-secouent ;
Souillent, grincent les dents, déchirent leurs habits,
Et de leurs yeux ardents font d’étranges rubis ;
Tentent mille desseins, et, redoublant de forces,
Se donnent l’un à l’autre entorces sur entorces.
Ils changent de posture, ils brûlent d’action,
Et l’eau que rend leur corps en cette oppression