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Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/212

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força, ce sont ses propres termes, à y entrer, en qualité de cadet, notre jeune débauché, qui s’y fit bientôt remarquer par son audace et son adresse à l’escrime : les duels étaient en ce temps-là regardés comme le moyen le plus prompt et même le seul moyen qu’il y eût de faire montre de sa valeur ; il attira tellement l’attention sur lui, et en si peu de jours, par le nombre des rencontres qu’il eut et la manière dont il en sortit, qu’on ne l’appela plus dans ce régiment, presque entièrement composé de Gascons, que le Démon de la bravoure ; et, malgré le peu de foi que l’on ajoute communément aux hyperboles des enfants de la Garonne, ces Irlandais de la France, personne ne trouva cette fois qu’il y eût exagération dans le sobriquet, et il lui resta toute sa vie. Il comptait littéralement ses jours par ses combats, et même il comptait plus de combats que de jours, vidant quelquefois deux ou trois affaires dans une seule et même matinée. Ce n’est pas seulement dans les duels qu’il se fit cette réputation d’intrépide, mais dans des affaires plus générales dont nous allons raconter une qui paraît presque fabuleuse et qui lui fit infiniment d’honneur et le mit sur un très-bon pied à la cour et à la ville. On croirait lire un de ces vieux romans de chevalerie pleins de ces grands coups d’épée qui fendent les géants jusqu’à la ceinture : c’est sur le fossé de la porte de Nesle qu’eut lieu cette bataille de Cid Campéador. Cyrano était avec un de ses amis ; cent hommes attroupés, cent hommes ne veut pas dire ici beaucoup d’hommes, mais cent hommes se mirent à lui crier haro ! et à lui insulter ; il dégaina sans être effrayé de leur nombre le moindrement du monde, fondit sur