Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/219

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cultiver la révérende mère Marguerite, qui professait pour lui une estime toute particulière. Cependant, par complaisance pour ses amis, il consentit à se faire un patron à la cour, et se mit auprès de M. le duc d’Arpajon, à qui il dédia ses œuvres : cette protection ne lui servit pas à grand’chose ; l’on voit même que Cyrano se plaint d’avoir été abandonné par lui pendant sa maladie, et n’eut pas à s’en louer sous aucun rapport. Il y resta cependant jusqu’au soir où, en rentrant à l’hôtel d’Arpajon, il reçut sur la tête une pièce de bois jetée par inadvertance : il mourut des suites de cette blessure à la campagne, chez M. de Cyrano, son cousin, dont il aimait beaucoup la conversation, et chez qui, par une affectation de changer d’air qui précède la mort et qui en est comme un symptôme presque certain chez la plupart des malades, il se fit porter cinq jours seulement avant de rendre l’âme. Cette mort arriva en 1655 ; Cyrano avait alors trente-cinq ans. Il mourut dans des sentiments chrétiens, ayant depuis longtemps renoncé au vin et aux femmes et ne se nourrissant que d’aliments excessivement simples.

Cyrano était d’un caractère fort aimable, très-enjoué, et très-abondant en spirituelles saillies : aussi eut-il beaucoup de liaisons et d’amitiés étroites, et ce bonheur d’être chéri de tous jusqu’à sa mort et au delà de quelques-uns ; outre son ami d’enfance M. Le Bret, il avait de charmants commerces avec beaucoup d’autres, tous gens de courage, d’esprit ou de naissance : tels que M. de Prade, en qui la belle science égale un grand cœur et beaucoup de science ; M. de Chavagne, qui court toujours au devant de ceux qu’il veut obliger avec une si