Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/222

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intuition, ce qui est déraisonnable : tout le monde a le droit de profiter de l’expérience d’un maître et de partir du point où il est arrivé, de se servir de ses procédés et de ses manières de rendre, mais on doit s’en tenir là ; prendre une figure, un mot, une phrase, une page, est voler comme si on volait un mouchoir dans une poche, et il faut être arrivé à un état de civilisation bien avancé pour appeler cela autrement. — Vous avez sans doute entendu dire que la scène de la galère, dans les Fourberies de Scapin, était imitée de Cyrano de Bergerac ; mais il est probable que vous l’ayez été déterrer où elle est, dans le Pédant joué ; lisez ceci, et, malgré tout le respect que l’on doit au grand Molière, dites si ce n’est pas le plus effronté plagiat qu’il se puisse voir ; ce plagiat, d’ailleurs, n’est pas le seul que Molière ait à se reprocher : si l’on consultait les anciens canevas et les nouvellistes italiens, tels que, par exemple, les Nuits facétieuses du seigneur Straparole, il resterait au maître de la scène française bien peu de chose du côté de l’invention ; il n’en resterait pas davantage à Shakespeare. Une chose très-singulière et qui devient plus notoire de jour en jour par les investigations de la science, c’est que les hommes que l’on est convenu d’appeler des génies n’ont rien inventé à proprement parler, et que toutes leurs imaginations et leurs données se trouvent le plus souvent dans des auteurs ou médiocres, ou obscurs, ou détestables. — Qui en fait donc la différence ! Le style et le caractère, qui, au bout du compte, sont les seules choses qui constituent le grand artiste, tout le monde pouvant trouver un incident ou une idée poétique, mais bien peu étant en