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Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/221

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châsser et de faire briller aux yeux du monde les joyaux bruts enfouis dans sa mine ; que copier ainsi c’était plus que créer ; seulement on y a mis cette condition, qu’il fallait assassiner ceux qu’on volait : jolie morale littéraire ! Tout cela est très-charmant et commode pour les cervelles bréhaignes, et je ne m’étonne pas qu’un pareil paradoxe trouve des souteneurs ; mais quoi qu’en disent tous les phrasiers, je suis complètement de l’avis de Cyrano, qu’on devrait établir des peines plus rigoureuses pour les plagiaires que celles dont on punit les voleurs de grand chemin, à cause que la gloire étant quelque chose de plus précieux qu’un habit et qu’un cheval, et même que de l’or, ceux qui s’en acquièrent par des livres qu’ils composent de ce qu’ils dérobent chez les autres étaient comme ces tire-laines qui se parent aux dépens de ceux qu’ils dévalisent, et que si chacun eût travaillé à ne dire que ce qui n’eût point été dit, les bibliothèques eussent été moins grosses, moins embarrassantes et plus utiles ; et la vie de l’homme, quoique très-courte, eût presque suffi pour lire et savoir toutes les bonnes choses ; au lieu que, pour en trouver une qui soit passable, il en faut lire cent mille qui ne valent rien, ou qu’on a lues ailleurs une infinité de fois, et qui font consumer le temps inutilement et désagréablement.

Nous n’entendons pas cependant qu’on ne puisse s’inspirer de l’œuvre des maîtres en général ou de celui dont la nature a le plus d’affinités secrètes avec la vôtre ; ce serait à peu près comme si l’on voulait que tout homme qui professe un art ou une science en eût deviné graduellement les principes de lui-même et par sa propre