Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/25

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Elle ne prend cure que des grands seigneurs de la poésie, et s’enquiert assez peu du populaire et du bourgeois. C’est comme les historiens qui s’imaginent avoir fait l’histoire d’une nation quand ils ont écrit la biographie d’un prince. Assurément M. de Scudéry tient autant de place dans le siècle de Richelieu que le bonhomme Pierre Corneille ; le style matamore du sieur Scudéry ne jure nullement à côté des allures castillanes et des façons chevaleresques du sublime auteur du Cid. Le plus sûr moyen de connaître une époque, c’est d’en consulter les portraits et les caricatures. Corneille est le portrait, Scudéry la caricature ; personne, que je sache, n’a fait la biographie de Scudéry et l’analyse de ses œuvres.

Au reste, ce que je viens de dire de Scudéry ne s’applique en aucune manière à François Villon. Villon fut le plus grand poëte de son temps ; et maintenant, après tant d’années, tant de changements dans les mœurs et dans le style, sous les vieux mots, sous les vers mal scandés, à travers les tournures barbares, on voit reluire le poëte comme un soleil dans un nuage, comme une ancienne peinture dont on enlève le vernis.

Villon est à peu près le seul, entre tous les gothiques, qui ait réellement des idées. Chez lui, tout n’est pas sacrifié aux exigences d’une forme rendue difficile à plaisir ; vous êtes débarrassé de ces éternelles descriptions de printemps qui fleurissent dans les ballades et les fabliaux ; ce ne sont pas non plus des complaintes sur la cruauté de quelque belle dame qui refuse d’octroyer le don d’amoureuse merci : c’est une poésie neuve, forte et naïve ; une muse bonne fille, qui ne fait pas la petite