Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/290

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l’on a coutume d’appeler les honnêtes gens ; et mille questions de pareille importance. Mais de la poésie, il ne s’en occupe guère, et en vérité il n’en aurait pas le temps.

Il eût beaucoup mieux fait, à mon avis, de laisser débattre toutes ces choses aux grammairiens, dont c’est la besogne, et de tracer son sillon sur la croupe du Parnasse en bon et simple bœuf poétique, tirant de toutes ses forces sans s’inquiéter d’autre chose que d’arriver au bout : il sort d’une terre ainsi labourée de beaux épis dorés entremêlés de bluets et de jolies fleurs rouges. Il ne vient que des chardons et de la bardane dans le maigre sable des traités et des préfaces sur l’art. — Un poète, quoi qu’on dise, est un ouvrier ; il ne faut pas qu’il ait plus d’intelligence qu’un ouvrier, et sache un autre état que le sien sans quoi il le fait mal : je trouve très-parfaitement absurde la manie qu’on a de les guinder sur un socle idéal ; — rien n’est moins idéal qu’un poète. — Le poète est un clavecin et n’est rien de plus. Chaque idée qui passe pose son doigt sur une touche ; — la touche résonne et donne sa note, voilà tout. Personne ne croit qu’un piano soit un musicien : les poètes sont les pianos de la foule ; les uns ont plus d’octaves, les autres moins.

Homère n’était probablement pas de première force en esthétique. Les miraculeux artistes du moyen Age ne savaient souvent ni lire ni écrire, et produisaient des chefs-d’œuvre sans en avoir la conscience, de même que les pommiers portent des pommes, parce que ce sont des pommiers et non par une autre raison. La poésie est une