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Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/310

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qui sait ramener à son dessein les phrases qui l’en écartent le plus, cet amant est ingénieusement trouvé.

Cette tragi-comédie, s’il faut en croire l’auteur, a obtenu le plus grand succès du monde, « Lygdamon, que je fis en sortant du régiment des gardes et dans ma première jeunesse, eut un succès qui surpassa mes espérances aussi bien que son mérite ; toute la cour le vit trois fois de suite dans Fontainebleau ; et soit qu’elle excusât les fautes d’un soldat, soit qu’elle mît ces fautes au nombre des péchés agréables, il est certain que ses pointes touchèrent cent illustres cœurs, et que chacun loua beaucoup une chose qui étoit peu digne de l’être, etc… » Le matamore continue assez longtemps sur ce ton et loue toutes ses pièces les unes après les autres avec la plus admirable effronterie. « Enfin, dit-il, nous voici arrivés à ce bienheureux prince déguisé qui fut si longtemps les délices et la passion de toute la cour. — Jamais ouvrage de cette sorte n’eut plus de bruit, et jamais chose violente n’eut plus longue durée. Tous les hommes suivoient cette pièce partout où elle se représentoit, les dames en savoient les stances par cœur, et il se trouve encore mille honnêtes gens qui soutiennent que je n’ai jamais rien fait de plus beau, tant ce faux enchanteur charma véritablement tout le monde. »

Chacune de ses pièces a un mérite particulier : celle-ci a tiré cent et cent fois des larmes, non seulement des yeux du peuple, mais des plus beaux eux du monde ; celle-là n’aurait pas eu moins de succès si l’acteur qui en faisait le premier personnage ne fût pas mort ; l’une n’a pas réussi beaucoup, mais l’impression a fait ce