Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/316

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Deux ou trois cents passages copiés !

J’espère que voilà qui est on ne peut plus concluant ; de nos jours un auteur ne se relèverait pas de cela ; et vraiment sans partager l’avis de Scudéry, on ne peut s’empêcher, si grand que soit le respect que l’on ait pour la statue de bronze du vieux Corneille, de convenir que le haut mérite du Cid n’est pas dans l’invention ni du sujet ni des détails, mais dans l’élévation de la pensée, dans la forme vigoureuse, solide, indestructible du style et des vers.

Ce qu’il y a de plus amusant, c’est la tartine finale, où Scudéry reproche gravement à M. de Corneille, gentilhomme depuis peu, d’être un vrai et naïf hydropique d’orgueil, d’être plus bouffi et plus monté sur échasses que les Castillans de sa tragédie, de se croire le premier poète du monde pour quelques applaudissements, et de faire le dédaigneux à l’endroit de plus illustres que lui ; — qu’il devrait tenir à honneur de faire partie de la république des lettres comme simple citoyen, et non pas prétendre à en devenir le tyran.

Ces dernières accusations ne sont par dénuées de fondement. Corneille, à ce qu’il paraît, avait pris pour devise ce vers du Cid.

Et je dois à moi seul toute ma renommée.

Cela choque prodigieusement Scudéry, qui apparemment se croyait fort modeste. — La modestie, au reste, n’est guère le défaut des littérateurs de cette époque ; ils sont plus gonflés que la grenouille envieuse du bœuf ; un souffle castillan leur tend la peau jusqu’à la crever.