Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/317

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— L’hyperbolique Espagne a tout envahi, roman, tragi-comédie, ce qui est le drame d’alors, chansons, couplets, musique, danse et modes. — C’est la même misère orgueilleuse, la même vanité de mendiant, le même luxe d’oripeaux ; c’est le vrai temps des poètes crottés et fiers-à-bras, de la poésie quintessenciée et plate. Toutes les épigraphes, les devises sont espagnoles ; tout est imité ou traduit de l’espagnol ; les fêtes, les cartes, les mascarades, les carrousels sont dans le goût espagnol ; l’amour se fait à l’espagnole ; la galanterie a ce caractère de puérilité gigantesque qui distingue le commerce amoureux de là les Pyrénées. Ce ne sont qu’escalades et duels ; des amants qui ne savent pas nager se jettent à l’eau tout bottés et tout éperonnés, dans l’espoir d’attendrir leurs belles, ou se font apporter chez elle dans des coffres, au risque d’y étouffer. Tous les madrigaux sont poussés à un point d’exagération fabuleux, et l’on se refuse à croire que jamais de pareilles choses aient pu être dites sérieusement. — Chaque sonnet est un écrin qui contient plus de perles, de diamants, de saphirs, de topazes qu’il n’y en eut jamais dans la boutique d’un lapidaire ou dans le trésor du roi.

Le soleil y est à toute minute, à propos du premier œil venu, traité de borgne et d’aveugle, et on lui ôte la place de grand-duc des chandelles que le Dubartas lui a si gracieusement donnée, pour en investir quelque Philis de mauvais lieu ou quelque Philaminte surannée. — Voilà un beau temps ! — Comme les types y abondent de tous côtés, comme chaque figure se détache nettement sur le fond de ce siècle, comme tous ces caractères jettent en passant sur le mur une silhouette vive et bien tranchée.