Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/318

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— Vous avez le savant, le pédant, le Sidias, moitié cuistre, moitié valet, les mains sales, la figure pareille, avec sa soutane noire, rapiécée, trouée, prestelée de crotte, grinçant des dents à toutes les coutures, tachée de lie de vin, lustrée et moirée de graisse, des bas de laine faisant la colonne torse autour de ses mollets absents, des chausses débraillées et la perruque hospitalière ; une espèce d’animal hérissé de grec et de latin comme un porc-épic, toujours grommelant et mâchant quelque citation filandreuse, les poches toujours pleines de livres et de papiers ; ivrogne, puant, avare, entêté, libertin de bas étage, et adressant des vers hendecasyllabiques à la manière de Catulle aux Gothons et aux Cathos de son cabaret. — Au demeurant, très-docte, très-versé dans toutes les langues du monde, et capable de dire : Donnez-moi à boire, en cinquante-deux idiomes différents. Et le poète, — croyez-vous que ce ne soit pas une bonne figure ? Regardez-le comme il marche d’un air fier et comme il pétrit héroïquement la boue à cru avec ses bottes sans semelles. Il est à jeun, et cependant il passe devant les rôtisseries de la mine la plus indifférente du monde ; abordez-le, il va vous dire : — Ah ! quelle repue franche j’ai faite ce matin ! Nous étions-là cinq ou six goinfres émérites, et nous avons briffé et lampé au mieux ; il y avait entre autres choses une certaine oreille de sanglier et un râble d’ânon, le tout arrosé d’un petit vin d’Arbois qui n’étais pas méchant je m’en lèche encore les babines rien que d’y penser. — Et si vous suivez ce poète qui a si bien déjeuné, vous le verrez, au détour d’une allée solitaire, grignoter sous son manteau un peu de pain dur et