Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/344

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il n’est point de doigts assez crochus pour extraire quelque chose du vide et tirer la bourse de la poche du néant. — La caisse du théâtre est aussi creuse que la caisse du tambour ; il n’y a pas un pauvre doublon, pas un rouge liard, pas un sou marqué, et l’on pourrait tambouriner dessus. Cependant il est déjà plus de cinq heures, on n’a pas commencé et l’on devrait avoir fini. Le tambourineur, accompagné de Harlequin son fidèle Achate, vient de faire une tournée dans la ville. — Harlequin ne sait plus où il en est ; c’est la première fois qu’il s’est promené dans les rues sans être remarqué ; on n’a pas fait plus d’attention à lui que s’il eût été un bourgeois, ou que tous les bourgeois eussent été des Harlequins. Les petits garçons mêmes sont autant de sages de la Grèce en jaquette, et ne se sont inquiétés de ses lazzis non plus que s’ils fussent des Socrates. Cette queue de polissons, qui depuis un temps immémorial se visse instinctivement à l’échine de tout tambour, est restée à jouer à la marelle et à la fossette. Il n’y a pas moyen de réveiller ces bons provinciaux de leur torpeur de marmotte. Le plan plan de la caisse et le sangodemi de Harlequin n’y ont pas plus fait que les menteries de l’affiche. — La troupe court grand risque d’être privée pour ce soir de la réparation de dessous le nez, et d’aller se coucher sans avoir mâché autre chose que le brouillard et la bise d’automne.

Enfin on voit poindre une honnête et bénigne figure qui longe la muraille d’un air de désœuvrement qui promet assez : — cela a l’air d’un père noble ou d’un oncle : cela est un oncle qui cherche son mauvais sujet de neveu, occupation digne d’un oncle ; — l’oncle lève le nez, lit l’affiche, et demande à quel prix sont les places. — C’est