Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/349

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larmes des amants, se promènent, avec un gazouillis élégiaque, sur un fond de poudre d’or ; de jeunes zéphirs agitent doucement leurs ailes en guise d’éventail, et répandent dans l’air une fraîcheur délicieuse ; les échos y sont fort ingénieux et les mieux appris du monde ; ils ont toujours à répondre quelque assonance réjouissante aux stances qu’on leur adresse, et ne manquent jamais de répliquer à l’amant qui leur demande si sa maîtresse est sensible aux tourments qu’il endure — dure. Car dans ce pays fabuleux, la rime naturelle de maîtresse est tigresse. — D’adorables petits agneaux crêpés et poudrés, avec un ruban rose et une clochette d’argent au cou, bondissent en cadence et exécutent le menuet au son des musettes et des pipeaux. Les bergers ont des souliers à talons hauts, ornés de rosettes prodigieuses, un tonnelet avec des passequilles, et des rubans partout ; les bergères étalent sur le gazon une jupe de satin relevée de nœuds et de guirlandes. Quant aux loups, ils se tiennent discrètement à l’écart et ne font guère paraître le bout de leur museau noir hors de la coulisse, que pour donner à Céladon l’occasion de sauver la divine Astrée. Cette heureuse région est située entre le royaume de Tendre et le pays de Cocagne, et, depuis bien longtemps, l’on a oublié le chemin qui y conduit. — C’est dommage ! j’aurais bien voulu l’aller voir. Rousseau eut longtemps cette envie. Mais il paraît que le véritable Forez est tout prosaïquement une province où il y a des forges, et où un garçon serrurier trouve facilement de l’ouvrage. — Ô imagination des poètes, quelles cruelles déceptions vous nous préparez !

Au reste, ces bergers ne ressemblent en rien aux anti-