Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/362

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l’envoyer chez un parent, à Charleville. Il y resta deux ans, et ce bannissement ayant un peu fait rentrer les griffes à l’humeur féroce de la marâtre, il revint à Paris, où il acheva ses études, après quoi il prit le petit collet, non qu’il eût une vocation pour l’état ecclésiastique. Son tempérament bilieux-sanguin le portait plutôt à l’activité du plaisir qu’au recueillement de la vie méditative, et il ne possédait aucune des qualités qu’exigent les grandes fonctions du prêtre, aussi s’en tint-il au petit collet, qui n’engageait à rien, et ne vous empêchait même pas de porter l’épée et d’être un raffiné duelliste, comme l’abbé de Gondi. Le petit collet était un costume propre, leste, dégagé, presque galant et peu coûteux, qui signifiait seulement que la personne qui le portait avait des prétentions à la littérature ou à quelque bénéfice. Rien n’était, du reste, plus profane, plus libre de tout préjugé que ces petits collets. Costumé de la sorte et suivi d’un laquais, l’on pouvait se présenter partout sans crainte d’encourir la colère des suisses ; bien des portes, qui seraient restées fermées, s’ouvraient d’elles-mêmes devant monsieur l’abbé, et pourvu qu’il eût l’œil vif, la dent belle et la repartie prompte, il était le bien venu des grands seigneurs et des belles dames.

Avec cet enjouement et cette tournure d’esprit, d’une famille honorable comme il était, et recevant quelque argent de son père, Paul Scarron devait avoir du succès dans le monde ; il fréquentait les sociétés galantes et spirituelles du temps, il était bienvenu chez Marion de Lorme et Ninon de Lenclos, les deux lionnes de l’époque, qui réunissaient chez elles tout ce que la cour et la ville