Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/371

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tre : El Burlador de Sevilla, ce mot ayant dans sa signification espagnole une nuance plus dérisoire et plus ironique ; car celui qui invite à souper le convive de pierre peut être moqueur, mais, à coup sûr, il n’est pas bouffon. L’emploi de ce style devint général ; depuis les moutons de Panurge et bien avant, la France est le pays de l’imitation par excellence, car les Français, si hardis sur le champ de bataille et dans les situations périlleuses, sont d’une timidité extrême sur le papier, et cette nation si folle et si légère, au dire des observateurs, est celle qui a toujours conservé le plus profond respect pour les règles, et qui a le moins risqué en littérature. Dès qu’ils ont une plume à la main, ces Français si téméraires deviennent pleins d’hésitations et d’anxiétés ; ils tremblent de dire quelque chose de nouveau et qui ne se trouve pas dans les auteurs du bel air. Aussi qu’un écrivain ait la vogue, et tout de suite, il paraît des nuées d’ouvrages taillés sur le patron du sien. On aurait tort d’attribuer cet esprit imitateur au manque d’invention ou de ressources individuelles ; ce n’est qu’une déférence à la mode, une crainte de paraître manquer de goût. Il n’y a qu’en France que le mot original, appliqué à un individu, soit presque injurieux. Tout Français qui écrit est travaillé de la peur du ridicule, et c’est ce qui fait que lorsqu’un style ou un genre a été adopté par le public, tous les auteurs se jettent de ce côté, heureux de décliner la responsabilité d’une manière à eux. Ce n’est pas d’aujourd’hui que le succès d’un ouvrage fait éclore un cycle d’œuvres du même genre. Chaque époque a un poème ou un roman en vogue dont il se tire de nombreuses contre-épreuves,