Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/382

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trouvent les géants ; on y voit encore un peu clair, mais la nuit ne tarde pas à déployer ses jupons pailletés d’étoiles. Les vauriens sont dans une plaine, non loin d’une forêt, occupés à faire un bûcher pour faire cuire une carbonnade. La forêt tout entière y passe : c’est un entassement de chênes noueux, de pins échevelés, d’ormes avec leurs racines, à croire que l’on veut brûler le monde. Des centaines de bœufs mis en quartier et qu’on a négligé d’éplucher de leurs charrues, rôtissent sur cet océan de charbons. Des milliers de moutons enfilés comme des alouettes dans des broches faites de cyprès tout entiers tournent lentement devant la flamme : ce souper a dû affamer toute une nation.

Les géants entourent Mercure, qui n’est pas plus rassuré qu’il ne faut en voyant se resserrer autour de lui cette ceinture de corps monstrueux ; pourtant il prend son courage à deux mains, et tient ce discours à Typhon, qui le regarde de travers et de sa mine la plus effroyable : — Seigneur Typhon, malgré votre gigantosité, vous n’êtes qu’une grande canaille. Jupin, mon bourgeois et le vôtre, m’envoie vous dire que vous vous teniez coi désormais, sinon il vous foudroiera bel et bien. Vous avez démoli notre vaisselle, et il faut que vous alliez promptement à Venise chercher une centaine de verres pour remplacer ceux que vos quilles ont brisés : qui casse les verres les paye. — Vous êtes assez ivrogne pour connaître cette maxime. — Vous avez une semaine devant vous, mais pas plus. Sur ce, bonsoir.

À ce discours, une huée formidable, à rendre sourds les quatre éléments, sort de ces bouches plus larges que