Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/84

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Le voilà, ce poignard qui, du sang de son maître,
S’est souillé lâchement ; — il en rougit, le traître,


que l’on cite dans tous les traités de rhétorique comme un monstrueux exemple de faux goût, ce qui ne l’empêche pas d’être un poëte dans le sens le plus étendu du mot, et d’avoir fait un des vers les plus vantés de l’abbé Delille :


Il n’yot que le silence, il ne voit rien que l’ombre,


et beaucoup d’autres dont de plus heureux ont profité, entre autres le même Nicolas Boileau qui parle de lui d’un ton si dédaigneux. — Il est vrai qu’il le met en compagnie du Tasse, et que c’est un affront que l’on pourrait envier.

Avant d’avoir lu un seul de ses vers je lui portais déjà un tendre intérêt à cause de son nom de Théophile, qui est le mien, comme vous le savez ou comme vous ne le savez pas. — C’est peut-être une puérilité, mais je vous avoue que tout le mal que l’on disait de Théophile de Viau me semblait adressé à moi Théophile Gautier. — J’aurais volontiers battu le régent Boileau pour le vers coriace où il outrage mon pauvre homonyme, et jeté au feu les traités de rhétorique pour leur impertinente citation. — Jamais critiques faites à moi personnellement contre mes propres vers ne m’ont été plus sensibles, pardonnez-moi cette folle bouffée d’orgueil, mais il ne me paraissait pas croyable qu’un homme portant mon nom fût un aussi mauvais poëte qu’on prétendait que Théophile de Viau l’avait été. Théophile est un nom comme un autre, et je suis peut-être une preuve qu’on peut très-bien le porter