Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/110

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réellement touchée, soit qu’elle voulût se venger ainsi de la conduite de Dalberg ; on parlait même d’un projet de mariage entre Rudolph et mademoiselle Desprez.

Henri, voyant qu’il lui fallait renoncer définitivement à la chère espérance de fléchir un jour le cœur vindicatif de Calixte, avait pris une résolution violente, et s’était démontré qu’il devait adorer Florence ; jamais fureur de désespoir ne ressembla plus à de la passion ; Dalberg s’y trompa, et crut aimer… comme si on aimait deux fois.

Il ne quittait presque plus Florence, qui pourtant lui opposait une résistance invincible et singulière après l’aveu qu’elle lui avait fait. Son amour était devenu une fièvre, un délire, qui semblaient quelquefois gagner Florence ; mais, au moment où Dalberg croyait qu’elle allait tomber dans ses bras, elle se sauvait à l’autre bout de la chambre, et là, droite et fière, elle lui criait en tendant les mains pour l’empêcher d’approcher : « Laissez-moi, laissez-moi, vous aimez toujours Calixte ! »

Le pauvre Henri avait beau se jeter à ses pieds, la supplier, lui faire les protestations les plus véhémentes, répandre son âme en dithyrambe enthousiastes, l’entourer des brûlantes effluves du désir et de la volonté, Florence répétait avec force et d’une voix entrecoupée : « Non, non ; je ne sens pas que vous soyez à moi ; rien de ce que vous me dites ne me persuade… faites-moi croire que vous m’aimez… et je serai à vous. »

Ces scènes se renouvelaient souvent et avaient toujours le même résultat.

Un soir, Dalberg trouva Florence plus triste que de coutume, et il lui en demanda la raison.

— Cet appartement me déplaît, interrompit-elle. — J’y ai vécu, il y a deux ans, avec M. de Turqheim,