Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/17

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Quant à Florence, la première idée qu’elle éveillait dans l’esprit était celle d’une reine perdue n’ayant pu retrouver le chemin de son palais. Il y avait dans toute sa personne une telle distinction, une noblesse si réelle, qu’on lui avait donné le sobriquet de l’Impératrice.

On sentait qu’elle n’était pas née dans la bohème comme les autres, et qu’elle n’avait dû y venir que par une suite de hasards malheureux, ou par une de ces injustices sociales auxquelles la nature ne peut se soumettre.

L’ovale de sa tête était d’une pureté grecque ; les attaches de son cou semblaient taillées par Pradier dans le marbre de Paros. Ses mains appelaient le sceptre, et provisoirement se contentaient de jouer avec un couteau de nacre et vermeil. Sa peau, légèrement olivâtre, avait du rapport avec la pâleur passionnée des Andalouses et des Espagnoles de la Havane, et ressortait merveilleusement aux bougies. Une robe de velours noir montante, un petit col rabattu de point d’Angleterre, telle était la toilette sévère et simple de Florence, dont tout le luxe consistait en un admirable bracelet de Froment-Meurice, à moitié caché d’ailleurs par la manchette. Bien que sa figure n’exprimât aucun sentiment de dédain pour cette société plus brillante que choisie, il y avait autour d’elle comme une espèce de solitude de respect. Son voisin de droite s’occupait d’une autre femme, et son voisin de gauche, voyant Amine engagée dans une conversation assez vive, aimait mieux accepter tous les mets que lui envoyait le découpeur, ou l’écuyer tranchant, — si ce mot n’est pas trop ambitieux pour ce siècle bourgeois, — que de commencer avec Florence un dialogue sans doute difficile à soutenir.

Quoique isolée et silencieuse, la jeune femme prenait à ce qui se passait une part plus active qu’on ne