Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/27

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avait signés au premier coup d’œil. — Ne rends pas ce médaillon, dit-il à la jeune folle en voyant s’approcher Dalberg. — Florence aussi ne put retenir un léger tressaillement à l’aspect du médaillon ; peut-être sa nature, plus délicate que celle des autres, se révoltait-elle à cette profanation d’un si pur sentiment.

— Bonjour, berger, dit Amine à Dalberg qui s’avançait, avez-vous fait, pendant votre sommeil, des rêves couleur de rose et vu des moutons poudrés à blanc dans des pâturages d’épinards ? avez-vous soupiré sur vos pipeaux l’éloge de votre belle, comme il convient à un parfait Céladon ?

— Que signifient ces folies ? répondit Dalberg, qui ne s’était pas encore aperçu de la perte du portrait.

— Et moi qui écoutais avec un frisson si bénévole les terribles histoires que monsieur racontait tantôt au steeple-chase, et qui m’attendais à tout moment à voir sortir de terre une flamme de térébenthine pour engloutir un si grand scélérat ! — Le lion est un agneau, le don Juan porte sur son cœur des portraits de pensionnaires avec des cheveux, car il y a des cheveux pour que rien ne manque à la bourgeoisie sentimentale de la chose. De la soupe grasse, du bœuf aux choux, une femme légitime et sept enfants, voilà ce qu’il vous faut pour être heureux, profond séducteur !

Les autres femmes se mirent à ricaner de leur méchant rire ; Dalberg s’écria :

— Rendez-moi ce médaillon… c’est le portrait de ma mère…

— Allons donc, repartit Amine, il y a une date ; en 1845 madame votre mère devait avoir plus de seize ans !

— Je me trompais… reprit Dalberg en balbutiant, je voulais dire ma sœur…

— Vous pataugez horriblement, mon cher ; vous n’avez pas de sœur ; un de vos principaux agréments est d’être fils unique.