Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/28

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— Trêve de plaisanteries ; rendez-moi ce médaillon.

— Non pas, je le garde pour mon musée. Je serai charmée d’avoir la vertu chez moi, ne fût-ce qu’en effigie.

Dalberg, furieux, s’avança pour reprendre le médaillon de force ; mais, prévoyant l’attaque, Amine l’avait fait passer rapidement de sa main droite dans sa main gauche, et pendant que Dalberg s’efforçait d’écarter les doigts effilés de la jeune femme, elle avait prestement coulé le portrait dans son corset.

— Ce n’est pas la peine de jouer ici la scène de lord Ruthven et du duc de Guise, et de me faire des bleus au bras, dit Amine en ouvrant sa main vide.

Par un brusque mouvement de retraite, elle gagna la porte, jeta sur ses épaules le manteau que lui tendait un domestique et descendit l’escalier avec la légèreté d’un oiseau.

Dalberg se précipita sur ses pas, mais il n’arriva que pour voir étinceler le pavé sous les fers des chevaux et la voiture tourner l’angle de la rue.




II


La place qui s’étend devant la vieille église de Saint-Germain-des-Prés était complétement déserte. Un reste de brouillard qui se résolvait en pluie fine avait chassé les rares passants qui traversent cet endroit presque solitaire. Les yeux des maisons commençaient à peine à s’ouvrir, et, sans une citadine aux stores baissés qui stationnait à quelque distance du