Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/86

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chesse de cœur, il voulut posséder tout cela dans Calixte. — Il n’oubliait qu’une chose : c’est l’amour de la jeune fille pour Dalberg, amour qu’il se flattait de détruire peu à peu, se fiant à son adresse. Il se trompait en cela ; cette faute est celle de tous les gens habiles trop portés à mépriser des adversaires naïfs, comme si la gaucherie n’était pas quelquefois la suprême rouerie, surtout en amour. L’homme le plus fin de la terre et le plus expert en intrigues sera battu par un adolescent bête, mais aimé.

Rudolph, entré dans la maison de M. Desprez en coureur de dot, n’y songeait plus. Calixte eût-elle été ruinée de fond en comble, il ne s’en serait pas inquiété un instant.

Pendant tout cela, que faisait Amine ? — Elle avait prudemment jugé qu’il fallait laisser à la première fureur de Dalberg le temps de s’abattre ; elle s’était tenue à l’écart, mais elle n’avait pas abandonné ses projets.

Quand elle pensa que Dalberg s’était suffisamment désespéré, elle résolut de tenter un coup hardi.

Un jour Henri, en rentrant chez lui, aperçut une femme installée dans un fauteuil, et lisant des brochures avec le plus beau sang-froid du monde. Il ne la reconnut pas d’abord, car la voilette de son chapeau baignait d’ombre le haut de sa figure, et son menton était caché par le cahier ouvert qu’elle tenait à la main ; mais la petitesse du brodequin, la fraîcheur du gant et le souple abandon de la taille annonçaient une jeune et jolie femme.

Une pensée folle traversa un instant la tête de Dalberg : il s’imagina que sa bien-aimée Calixte, ayant enfin reçu une des épîtres passionnées où il lui proposait de l’enlever et de fuir dans un autre hémisphère les rigueurs d’un père barbare, s’était décidée à le rejoindre ; il allait s’écrier : « Vous ici, Calixte ! »