Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/92

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plus librement sur un cou dont rien n’interrompait les lignes antiques, excepté une imperceptible chaîne de Venise, mince comme un cheveu, qui soutenait une petite croix de diamant.

Elle occupait avec M. Desprez, le devant de la loge. Rudolph se tenait debout dans le fond.

Toutes les lorgnettes étaient braquées sur Calixte. Chacun se demandait : « Quelle est donc cette charmante personne, si jeune, si jolie, d’une grâce si naturelle, d’une dignité si modeste, qui écoute sans étonnement et sans indifférence, et n’a pas l’air de se douter qu’elle est le point de mire de cette foule ? »

— Comment se fait-il que Rudolph soit dans sa loge ? ajoutaient ceux qui connaissaient ce dernier. — S’il sort dans les entr’actes, nous saurons de lui le nom de cette naissante étoile de beauté. — Leur attente fut trompée, car le baron tint fidèle compagnie à Calixte et à M. Desprez.

Jamais Dalberg n’avait vu sa bien-aimée si belle : — il ne la connaissait pas sous cet aspect de grâce sérieuse et de mélancolie sereine. Jusqu’alors, chez Calixte, le côté pensionnaire et jeune fille avait prédominé ; Dalberg, au lieu d’une enfant, retrouvait une femme ! Ses regrets, un instant assoupis, se réveillèrent avec une vivacité extraordinaire ; un immense désespoir s’empara de lui, mêlé d’un tel accès de rage contre Amine, que, s’il eût eu un couteau sous la main, il l’aurait certainement poignardée.

Amine, s’étant retournée, vit la figure de Dalberg tellement décomposée, et d’une pâleur si verdâtre, que la frayeur s’empara d’elle, et qu’elle se recula jusqu’à l’autre angle de la baignoire, en ayant soin de se mettre en vue, de peur de quelque violence de la part de son compagnon.

Faute de mieux, Dalberg déchiquetait un de ses gants. Jusqu’à présent, il n’avait éprouvé que les tris-