Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tesses de l’amant exilé, maintenant les dents de rat de la jalousie lui mordaient le cœur.

Amine aussi avait changé de couleur. D’après le portrait, elle ne s’était pas figuré une semblable perfection : car les femmes de la sorte ne croient pas ordinairement à la beauté des filles vertueuses, qu’elles se représentent volontiers comme gauches, disgracieuses, bossues ou mal habillées. Elle s’expliqua la conduite d’Henri, qui jusque-là lui avait paru incompréhensible, et un soupir de dépit, qu’elle étouffa dans son bouquet, sortit de sa poitrine oppressée.

— Allons, se dit-elle tout bas, c’est le moment d’être belle ou de mourir.

Et par un appel désespéré à la réserve de ses charmes, elle réunit une telle somme de beauté, qu’elle en devint comme phosphorescente.

Elle trouva une pose incomparable, — un regard qu’elle n’eut que cette fois, une expression qu’on ne reverra plus. — Ce poëme sublime ne fut pas écrit malheureusement, car ni M. Ingres ni Pradier n’étaient là. Que faisiez-vous en ce moment, artistes souverains ?

— Qu’a donc Amine aujourd’hui ? elle éclate comme un bouquet de feu d’artifice, se demandèrent plusieurs lions étonnés.

— Courage, Henri, disait Amine à Dalberg, ne leur donnez pas la satisfaction de vous voir pâle et défait comme un condamné à mort ; Calixte est regrettable, c’est vrai ; je sais quand il faut convenir de la beauté d’une autre ; mais suis-je à dédaigner ? Regardez comme tout le monde m’admire ! il suffit d’une étincelle tombée de mes yeux, au hasard, pour allumer une flamme qui ne s’éteint pas. Les plus beaux, les plus illustres, les plus riches se précipiteraient pour ramasser mon mouchoir. Voyez comme toutes ces duchesses, toutes ces femmes de banquiers tâchent de