Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/112

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prends pour l’écrire. Dès cet instant, le jeune Daniel fut travaillé de la plus horrible ambition qui ait jamais dévoré une poitrine humaine.

En entrant chez lui, il trouva son père qui lisait le Constitutionnel, et il l’appela garde national ! Après une seule leçon, employer garde national comme injure, lui qui avait été élevé dans la patrioterie et la religion de la baïonnette citoyenne, quel immense progrès ! quel pas de géant ! Il donna un coup de poing dans son tuyau de poêle (son chapeau), jeta son habit à queue de morue, et jura, sur son âme, qu’il ne le remettrait de sa vie ; il monta dans sa chambre, ouvrit sa commode, en tira toutes ses chemises, et leur coupa le col impitoyablement, la guillotine étant une paire de ciseaux de sa mère. Il alluma du feu, brûla son Boileau, son Voltaire et son Racine, tous les vers classiques qu’il avait, les siens comme les autres, et ce n’est que par miracle que ceux qui nous servent d’épigraphe ont échappé à cette combustion générale. Il se cloîtra chez lui, et lut tous les ouvrages nouveaux que Ferdinand lui avait prêtés, en attendant qu’il eût une royale assez confortable pour se présenter à l’univers. La royale se fit attendre six semaines ; elle n’était pas encore très-fournie, mais du moins l’intention d’en avoir une était évidente, et cela suffisait. Il s’était fait confectionner, par le tailleur de Ferdinand, un habillement complet dans le dernier goût romantique, et, dès qu’il fut fait, il s’en revêtit avec ferveur, et n’eut rien de plus pressé que de se