Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de lui, et lui faisaient voir tout sous un jour bourgeois et mesquin, et si, à cet instant, on lui avait chaussé la tête d’un bonnet de garde national, et affûté au derrière une giberne et un briquet, loin de trouver la plaisanterie de mauvais goût, il vous aurait demandé votre voix pour être caporal, et se serait incontinent mis à crier : « Vive l’ordre de choses et son auguste famille ! » aussi bien que le digne M. Joseph Prudhomme.

Le calembour, colporté par l’agent de change, s’infiltra dans tous les groupes, et y excita un petit frémissement d’admiration qui se termina par un éclat de rire universel.

Tous les hommes toisaient Rodolphe d’un air d’envie, et toutes les femmes d’un air de bienveillance marqué : décidément, Rodolphe avait les honneurs de la soirée.

Madame de M*** lui fit le plus gracieux sourire.

M. de M*** lui prit la main, et l’engagea à revenir le plus souvent qu’il pourrait.

Rodolphe avait enlevé d’emblée les cœurs du mari et de la femme, au moyen d’un calembour ! O altitudo !

La superbe manière dont il avait écouté et applaudi un nocturne chanté par des amateurs lui avait concilié l’estime générale, et lui avait fait faire un pas énorme dans l’esprit de madame de M***. Mais son calembour lui en avait fait faire deux ou même trois, infiniment plus énormes que le premier ; car, dans l’esprit et le cœur d’une femme