Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/19

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de vers à soie, philhellène, fabricant de clyssoirs et de seringues à musique, professeur de philosophie, chef suprême de la religion saint-simonienne, répétiteur des chiens savants pour les langues mortes, tous ces états-là réclament des connaissances spéciales que je n’ai pas, et que je suis incapable d’acquérir. Ainsi, n’étant bon à rien, pas même à être dieu, je fais des préfaces et des contes fantastiques ; cela n’est pas si bien que rien, mais c’est presque aussi bien, et c’est quasi synonyme.

Je ne sais pas si cela vient de mon caractère, qui tourne un peu à l’hypocondrie, ou de ma position dans le monde, mais je n’ai jamais pu croire et m’intéresser sérieusement à quelque chose, et je pourrais retourner à mon usage le vers de Térence  :

Homo sum ; nil a me humani alienum puto

Par suite de ma concentration dans mon ego, cette idée m’est venue, maintes fois, que j’étais seul au milieu de la création ; que le ciel, les astres, la terre, les maisons, les forêts, n’étaient que des décorations, des coulisses barbouillées à la brosse, que le mystérieux machiniste disposait autour de moi pour m’empêcher de voir les murs poudreux et pleins de toiles d’araignées de ce théâtre qu’on appelle le monde ; que les hommes qui se meuvent autour de moi ne sont là que comme les confidents des tragédies, pour dire : Seigneur, et couper de quelques répliques mes interminables monologues.