Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/18

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cherchaient à se souffler eux-mêmes et à se faire quelque chose. À quoi j’ai répondu que cela serait rare et curieux de pouvoir et ne pas vouloir, et de fermer la porte au nez de la Fortune qui viendrait y frapper d’elle-même.

D’ailleurs, il n’y a que trois états possibles dans une civilisation aussi avancée que la nôtre : voleur, journaliste ou mouchard : je n’ai ni les moyens physiques, ni les moyens intellectuels qu’exigent ces trois genres d’industrie. J’aurais assez aimé être voleur, c’est de la philosophie éclectique ; mais on a trop de mal, comme disait feu Martainville. Je ne pense pas que j’eusse pu faire un mouchard remarquable, je suis trop distrait, j’ai la vue très-basse et l’ouïe un peu dure. Ensuite, depuis que les honnêtes gens s’en mêlent, le métier ne va plus. Pour journaliste, j’aurais peut-être réussi, avec beaucoup de travail, à ne pas faire tache dans les Petites-Affiches, ou même dans la plus célèbre de nos revues. Mais je déclare formellement que je ne résisterais pas à plusieurs vaudevilles consécutifs, et que pour rien au monde je ne me battrais en duel, ayant naturellement peur des coups autant et plus que tout autre.

Dans cette perplexité grande, et pour céder à de fréquentes importunités, j’ai suivi une grande quantité de représentations de l’Auberge des Adrets, pour me choisir un état parmi ceux que se donnent chaque soir Frédérick et Serres : dans leur nomenclature variée, je n’ai rien trouvé qui me convînt. Nourrisseur