Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/205

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albert. — Et qu’est-ce qu’un vers tout entier ? Tu as beau faire, la rime est une viande bien creuse, et, si tu farcissais une poularde de rimes au lieu de truffes, je crois que personne ne goûterait l’innovation.

rodolphe. — Et si je mettais une truffe au lieu d’une rime au bout de chaque vers ?

albert. — Malgré tout le respect que je te dois, je crois que le débit en serait beaucoup plus sûr que de l’autre manière.

rodolphe. — Parlons d’autre chose : voilà assez de concetti dépensés en pure perte. Puisque nous sommes seuls, nous n’avons pas besoin d’avoir de l’esprit ; cela est bon devant des bourgeois qu’on veut illusionner, et non autre part.

albert. — Soyons bêtes, puisque tu le veux ; cela est pourtant plus difficile. Pour y parvenir plus aisément, je ne vais que te servir d’écho.

rodolphe. — Où allais-tu ?

albert. — Où allais-tu ?

rodolphe. — Chez toi.

albert. — Chez toi.

rodolphe. — Te demander de me rendre un service.

albert, vivement, et ne faisant plus l’écho. — Mon cher ami, tu ne peux plus mal tomber : je n’ai pas le sou en ce moment-ci ; en toute autre occasion, tu peux compter sur moi, mais il y a marée basse dans mes poches : nous sommes au quinze, et j’ai mangé tout l’argent du mois.