Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/253

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— Buvons ! reprit toute la troupe en chœur. Et ces messieurs, quoique déjà passablement ivres, s’entonnèrent rasades sur rasades.

C’est une chose à remarquer, les descripteurs orgiaques et les faiseurs de livres obscènes outrepassent les proportions humaines de la manière la plus invraisemblable ; les uns font tenir dans le corps d’un misérable petit héros, qui a six pieds tout au plus, dix fois plus de punch et de vin qu’il n’en tiendrait dans la tonne d’Heidelberg ; les autres font accomplir à de minces freluquets de vingt ans des travaux amoureux qui énerveraient plusieurs douzaines d’hercules. Je voudrais bien savoir quel but ont ces exagérations. Peut-être est-ce une flatterie indirecte adressée au lecteur, je penche à le croire. En tout cas, de pareils livres sont très-pernicieux ; ils nous font mépriser des marchands de vin et des petites filles, qui, en nous comparant à ces types grandioses, doivent nous trouver de tristes buveurs et de plus tristes amants.

Comme j’ai le malheur d’avoir petite poitrine et assez mauvais estomac, et que, par conséquent, je ne puis guère boire que de l’eau coupée de lait, je laisse mon verre plein à côté de moi, pendant que mes dignes camarades ne font que vider le leur, et semblent, en vérité, plutôt des pompes ou des éponges que des hommes ayant reçu le sacrement du baptême.

En attendant qu’ils soient tout à fait ivres-morts, je vais, pour passer le temps, vous faire, ami lec-