Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/267

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albert. — Combien suis-je ? Il me semble que je suis plusieurs, et que je pourrais faire un régiment à moi tout seul.

roderick. — Tu n’es pas même un : la partie la plus noble de toi n’existe plus ; elle s’est noyée dans la mer de vin dont tu t’es rempli l’estomac. Ainsi, l’on peut parler de toi au prétérit défini : Albert fut.

albert. — Mon verre doit être à gauche ou à droite, à moins qu’il ne soit dans le milieu, et cependant je ne le vois nulle part. Qu’est-ce qui a mangé mon verre ?… Ah çà ! il y a donc des filous ici ? Fermez les portes et fouillez tout le monde, on le retrouvera. Un honnête homme ne peut pourtant pas se laisser périr faute de boire quand il a soif. Voilà un saladier qui remplacera merveilleusement le verre. (Il verse une bouteille tout entière et l’avale d’un seul trait.) Certainement, Dieu est un très-bon enfant d’avoir donné le vin à l’homme. Si j’avais été Dieu, j’en aurais gardé la recette pour moi seul. Ô divine bouteille ! Quant à moi, j’ai toujours regretté de ne pas être entonnoir au lieu d’être homme.

roderick. — En vérité, je crois que tu es plus près de l’un que de l’autre.

albert. —


Entonnoir ! entonnoir ! être entonnoir !… Ô rage !
Ne pas l’être !


guillemette. — Malaquet, mon doux ami, mon gentil ladre, tu n’es mie dans l’esprit de ton rôle :