Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/294

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tions sur la fleur de pêcher et les branches de saule, qui remplissent les premiers volumes ; mais, quand je vins à l’endroit où le bachelier ès lettres See-Yeoupe, déjà amoureux de la première cousine, devient derechef amoureux de l’autre cousine, la belle Yo-Mu-Li, je commençai à prendre intérêt au livre, à cause de ce double amour qui me rappelait ma position, tant il est vrai que nous sommes profondément égoïstes et que nous n’approuvons que ce qui parle de nous. J’attendais le dénoûment avec anxiété, et, quand je vis que le bachelier See-Yeoupe épousait les deux cousines, je vous assure que je me suis surpris à désirer d’être Chinois, rien que pour pouvoir être bigame, et cela, sans être pendu. Il est vrai que je n’aurais pas promené, comme l’honnête Chinois, mon amour alternatif du pavillon de l’est au pavillon de l’ouest ; n’importe, je me pris, dès ce jour, d’une singulière admiration pour Yu-Kialo-li, et je le prônai partout comme le plus beau roman du monde.

Excédé d’une situation aussi fausse, je résolus, faute de mieux, de demander une des deux sœurs en mariage, Musidora ou Clary, Clary ou Musidora. Je laissai aller quelques phrases sur le besoin de se fixer, sur le bonheur d’être en ménage, si bien que la mère fit retirer les deux petites et la conversation s’engagea :

— Madame, vous allez me trouver bien étrange, lui dis-je ; mon intention formelle est certainement d’épouser une de vos demoiselles, si vous me l’ac-