Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/300

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l’ombre, les autres se détachant du fond, une paillette saillante sur la partie lumineuse et des reflets sur le bord ; rien n’est changé ! Les assiettes, les plats d’étain, clairs comme de l’argent ; les pots de faïence à fleurs, les bouteilles à large centre, les fioles grêles à goulot allongé, ainsi qu’on les trouve dans les tableaux de vieux maîtres flamands ; tout est à la même place, le petit détail est minutieusement conservé. À l’angle du mur, irisée par un rayon de soleil, j’aperçois la toile de l’araignée à qui, tout enfant, je donnais des mouches après leur avoir coupé les ailes, et le profil grotesque de Jacobus Pragmater, sur une porte condamnée où le plâtre est plus blanc. Le feu brille dans la cheminée ; la fumée monte en tourbillonnant le long de la plaque armoriée aux armes de France ; des gerbes d’étincelles s’échappent des tisons qui craquent ; la fine poularde, préparée pour le dîner de mon oncle, tourne lentement devant la flamme. J’entends le tic-tac du tourne-broche, le pétillement des charbons, et le grésillement de la graisse qui tombe goutte à goutte dans la lèchefrite brûlante. Berthe, son tablier blanc retroussé sur la hanche, l’arrose, de temps en temps, avec une cuiller de bois et veille sur elle, comme une mère sur sa fille.

Et la porte du jardin s’ouvre. Jacobus Pragmater, le maître d’école, entre à pas mesurés, tenant d’une main un bâton de houx, et de l’autre main la petite Maria, qui rit et chante…