Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/299

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creusées ; ma bouche, qui riait toujours, et que l’on eut prise pour un coquelicot noyé dans une jatte de lait, est devenue horizontale et pâle ; mon profil se dessine en méplats fortement accusés ; une ride précoce commence à se dessiner sur mon front ; mes yeux n’ont plus cette humidité limpide qui les faisait briller comme deux sources où le soleil donne : les veilles, les chagrins les ont fatigués et rougis, leur orbite s’est cavée, de sorte qu’on peut déjà comprendre les os sous la chair, c’est-à-dire le cadavre sous l’homme, le néant sous la vie.

Oh ! s’il m’était donné de revenir sur moi-même ! Mais ce qui est fait est fait, n’y pensons plus.

Parmi tous ces tableaux, un surtout se détache nettement, de même qu’au bout d’une plaine uniforme, un bouquet de bois, une flèche d’église dorée par le couchant.

C’est le prieuré de mon oncle le chanoine ; je le vois encore d’ici, au revers de la colline, entre les grands châtaigniers, à deux pas de la chapelle de Saint-Caribert.

Il me semble être en ce moment dans la cuisine : je reconnais le plafond rayé de solives de chêne noircies par la fumée ; la lourde table aux pieds massifs ; la fenêtre étroite taillée à vitraux qui ne laissent passer qu’un demi-jour vague et mystérieux, digne d’un intérieur de Rembrandt ; les tablettes disposées par étages qui soutiennent une grande quantité d’ustensiles de cuivre jaune et rouge, de formes bizarres, les unes fondues dans