Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/303

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égaux sur nos lèvres, comme la vague sur le sable, avec un bruit doux et monotone ; nos cœurs palpitaient à l’unisson, nos paupières s’élevaient et s’abaissaient simultanément ; tout dans nos âmes et dans nos corps était en harmonie et vivait de concert, ou plutôt nous n’avions qu’une âme à deux, tant la sympathie avait fondu nos existences dans une seule et même individualité.

Un fluide magnétique entrelaçait autour de nous, comme une résille de soie aux mille couleurs, ses filaments magiques ; il en partait un de chaque atome de mon être, qui allait se nouer à un atome de Maria ; nous étions si puissamment, si intimement liés, que je suis sûr que la balle qui aurait frappé l’un aurait tué l’autre sans le toucher.

Oh ! qui pourrait, au prix de ce qui me reste à vivre, me rendre une de ces minutes si courtes et si longues, dont chaque seconde renferme tout un roman intérieur, tout un drame complet, tout une existence entière, non pas d’homme, mais d’ange ! Âge fortuné des premières émotions, où la vie nous apparaît comme à travers un prisme, fleurie, pailletée, chatoyante, avec les couleurs de l’arc-en-ciel, où le passé et l’avenir sont rattachés à un présent sans chagrin, par de douces souvenances et un espoir qui n’a pas été trompé, âge de poésie et d’amour, où l’on n’est pas encore méchant, parce qu’on n’a pas été malheureux, pourquoi faut-il que tu passes si vite, et que tous nos regrets ne puissent te faire revenir une fois passé !