Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/304

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Sans doute, il faut que cela soit ainsi, car qui voudrait mourir et faire place aux autres, s’il nous était donné de ne pas perdre cette virginité d’âme et les riantes illusions qui l’accompagnent ? L’enfant est un ange descendu de là-haut, à qui Dieu a coupé les ailes en le posant sur le monde, mais qui se souvient encore de sa première patrie. Il s’avance d’un pas timide dans les chemins des hommes, et tout seul ; son innocence se déflore à leur contact, et bientôt il a tout à fait oublié qu’il vient du ciel et qu’il doit y retourner.

Abîmés dans la contemplation l’un et l’autre, nous ne pensions pas à notre propre vie ; spectateurs d’une existence en dehors de nous, nous avions oublié la nôtre.

Cependant cette espèce d’extase ne nous empêchait pas de saisir jusqu’aux moindres bruits intérieurs, jusqu’aux moindres jeux de lumière dans les recoins obscurs de la cuisine et les interstices dés poutres : les ombres, découpées en atomes baroques, se dessinaient nettement au fond de notre prunelle ; les reflets étincelants des chaudrons, les diamants phosphoriques allumés aux reflets des cafetières argentées, jetaient des rayons prismatiques dans chacun de nos cils. Le son monotone du coucou juché dans son armoire de chêne, le craquement des vitrages de plomb, les jérémiades du vent, le caquetage des fagots flambants dans l’âtre, toutes les harmonies domestiques parvenaient distinctement à notre oreille, chacune avec sa signifi-