Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/32

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— Ma tante Gryselde, interrompit Théodore, était certainement une honnête femme.

— Mon digne ami, je ne sais pas à quoi ton père et ta mère pensaient en te faisant, mais certainement ils pensaient à autre chose : ils ont manqué ta cervelle. Ta tante Gryselde, que tu cites, était bossue, rousse, borgne et brèche-dent ; elle n’a pas dû être beaucoup sollicitée, ce qui ne prouve pas qu’elle n’ait sollicité elle-même, car l’âne regimbe, et la chair est plus éloquente que l’esprit.

— Tu es donc matérialiste, ô Roderick ?

— Je le suis, tous les hommes d’esprit le sont ; c’est plus sûr. Tu devrais bien l’être aussi, car il est bien évident qu’il existe cent et quelques livres de chair qu’on nomme Théodore, et l’existence de son esprit est au moins problématique, à entendre la sotte conversation que nous menons ensemble.

Je ne veux pas faire ici du Byron, cela est aussi usé que du Florian ; mais tu me permettras de te faire part de quelques réflexions : y a-t-il dans le monde une femme qui n’ait jamais failli, je ne dis pas en action, il y en a, mais en pensée ? je ne le crois pas. Tu vas me trouver singulier, mais je veux être coupé par rouelles comme une betterave, si je n’aimerais pas mieux une femme qui aurait failli corporellement qu’une qui aurait failli spirituellement. L’une a ses sens pour excuse, l’autre n’en a pas ; en un mot, j’épouserais plus volontiers une fille qui aurait été violée qu’une qui aurait résisté à un amant aimé. Je préfère, tout matérialiste que je suis, la virginité