Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/331

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profond de son appartement, abat ses jalousies, ferme ses rideaux, et reste étendu sur sa molle ottomane, le front perlé de gouttes de sueur, je me hasarde à sortir.

Je m’en vais me promener, habillé comme à mon ordinaire, c’est-à-dire en drap, ganté, cravaté et boutonné jusqu’au cou.

Je prends alors dans la rue le côté où il n’y a pas d’ombre, et je marche les mains dans mes poches, le chapeau sur l’oreille et penché comme la tour de Pise, les yeux à demi fermés, mes lèvres comprimant avec force une cigarette dont la blonde fumée se roule, autour de ma tête, en manière de turban ; tout droit devant moi, sans savoir où ; insoucieux de l’heure ou de toute autre pensée que celle du présent ; dans un état parfait de quiétude morale et physique.

Ainsi je vais… vivant pour vivre, ni plus ni moins qu’un dogue qui se vautre dans la poussière, ou que ce bambin qui fait des ronds sur le sable.

Lorsque mes pieds m’ont porté longtemps, et que je suis las, alors je m’assois au bord du chemin, le dos appuyé contre un tronc d’arbre, et je laisse flotter mes regards à droite, à gauche, tantôt au ciel, tantôt sur la terre.

Je demeure là des demi-journées, ne faisant aucun mouvement, les jambes croisées, les bras pendants, le menton dans la poitrine, ayant l’air d’une idole chinoise ou indienne, oubliée dans le chemin par un bonze ou un bramine.