Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/344

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portes, de façon qu’il est prisonnier dans la rue, et ne peut plus rentrer dans aucun de ses domiciles.

Le réfractaire passe alors à l’état de vagabond : il se promène toute la journée sur les boulevards extérieurs, couche dans les fossés ou sur les arbres ; il ne demeure plus, il perche. S’il avait toujours cinq sous, il représenterait le Juif errant au naturel ; sa barbe longue ajoute à l’illusion, sa mine hâve, son manteau frangé de crotte ne la détruisent pas ; aussi, les gendarmes qui passent lui trouvent l’air suspect et le soupçonnent fort d’être quelque galérien échappé du bagne.

L’inquiétude visible avec laquelle le réfractaire suit leurs mouvements ne leur laisse aucun doute, car le réfractaire est comme Bertrand, il n’est pas maître de ça. Ils fondent sur lui la pointe haute, en lui criant d’une voix plus éclatante que le clairon du jugement dernier :

— Brigand, rends-toi, ou tu es mort !

Il se rend.

— Tes papiers, tes passe-ports, ton livret, forçat libéré !

— Je n’ai ni passe-ports ni livret ; je me promène.

— Ah ! ah est-ce qu’on se promène avec une figure comme ça ? Tu fais semblant de te promener, mauvais républicain ! Je suis sûr que tu es marqué. Qu’avons-nous fait ? avons-nous tué notre mère ou forcé la caisse à papa ? avons-nous fait suer le chêne et couler le raisiné ?…