Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/350

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ravir à la statuette de la Frileuse ; un barbet noir l’accompagnait, chaperon commode, sur l’indulgence et la discrétion duquel on pouvait compter.

— Figurez-vous, Henrich, dit la jolie Viennoise en prenant le bras du jeune homme, qu’il y a plus d’une heure que je suis habillée et prête à sortir, et ma tante n’en finissait pas avec ses sermons sur les dangers de la valse, et les recettes pour les gâteaux de Noël et les carpes au bleu. Je suis sortie sous le prétexte d’acheter des brodequins gris dont je n’ai nul besoin. C’est pourtant pour vous, Henrich, que je fais tous ces petits mensonges dont je me repens et que je recommence toujours ; aussi quelle idée avez-vous eue de vous livrer au théâtre ; c’était bien la peine d’étudier si longtemps la théologie à Heidelberg ! Mes parents vous aimaient et nous serions mariés aujourd’hui. Au lieu de nous voir à la dérobée sous les arbres chauves du Jardin impérial, nous serions assis côte à côte près d’un beau poêle de Saxe, dans un parloir bien clos, causant de l’avenir de nos enfants : ne serait-ce pas, Henrich, un sort bien heureux ?

— Oui, Katy, bien heureux, répondit le jeune homme en pressant sous le satin et les fourrures le bras potelé de la jolie Viennoise ; mais, que veux-tu ! c’est un ascendant invincible ; le théâtre m’attire ; j’en rêve le jour, j’y pense la nuit ; je sens le désir de vivre dans la création des poëtes, il me semble que j’ai vingt existences. Chaque rôle que je joue me fait une vie nouvelle ; toutes ces passions que