Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/37

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— Et quoi encore ?

— Je ne regarde jamais les femmes passé la jarretière ? répondit Roderick d’une voix flûtée. Je ne suis pas bégueule ; mais il faut des mœurs, tonnerre de Dieu ! poursuivit-il en rentrant dans son ton naturel. Je te confierai cependant que sur cette jambe il y avait une grisette.

C’était une jolie petite créature toute mignonne, toute proprette, tirée à quatre épingles. Son bonnet, sur le haut de sa tête, prêt à sauter par-dessus les moulins ; ses cheveux à l’anglaise, un peu défrisés, le nez au vent, l’œil en coulisse, la bouche en cœur ; avec cela une robe de stof, un tablier de marceline et un gant à peu près neuf, auquel il ne manquait guère que le pouce : une délicieuse poupée à vous rendre fou d’amour, au moins pendant une heure.

Je pressai le pas : entendant sonner les talons de mes bottes à côté d’elle, elle accéléra sa marche ; elle trottait, trottait comme une perdrix, et j’avais beau me fendre comme un compas, je ne pouvais l’atteindre : une voiture, qui lui barra le passage, me permit enfin de l’accoster.

— N’êtes-vous pas, lui dis-je en la saluant, mademoiselle Angelina, qui travaille chez madame C*** ?

— Non, répondit-elle en tournant vers moi ses beaux yeux étonnés et avec la plus savante naïveté. Je m’appelle Rosette, et je ne travaille pas chez la femme que vous venez de nommer.

— Rosette, c’est un joli nom !