Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/371

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maître en vous appelant Lamerluche, Tartempion ou Gobillard ? À vingt ans, on devrait se choisir un nom selon son goût et sa vocation. On signerait à la manière des femmes mariées, Anafesto (né Falempin), Florizel (né Barbochu), ainsi qu’on l’entendrait ; de cette façon, des gens noirs comme des Abyssins ne s’appelleraient pas Leblanc, et ainsi de suite.

Mes père et mère, six semaines après que j’eus été sevré, prirent cette résolution commune à tous les parents de faire de moi un avocat, ou un médecin, ou un notaire. Ce dessein ne fit que se fortifier avec le temps. Il est évident que j’avais les plus belles dispositions pour l’un de ces trois états : j’étais bavard, je médicamentais les hannetons, et je ne cassais qu’au jour voulu les tirelires où je mettais mes sous ; ce qui faisait pressentir la faconde de l’avocat, la hardiesse anatomique du médecin, et la fidélité du notaire à garder les dépôts. En conséquence, on me mit au collège, où j’appris peu de latin et encore moins de grec ; il est vrai que j’y devins un parfait éleveur de vers à soie, et que mes cochons d’Inde dépassaient pour l’instruction et la grâce du maintien ceux du Savoyard le plus habile. Dès la troisième, ayant reconnu la vanité des études classiques, je m’adonnai au bel art de la natation, et j’acquis, après deux saisons de chair de poule et de coups de soleil, le grade éminent de caleçon rouge. Je piquais une tête sans faire jaillir une goutte d’eau ; je tirais la coupe marinière et la coupe sèche d’une façon très-brillante ; les maîtres de nage me faisaient