Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/41

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de la Régence, et qu’on aurait bien dû restaurer plutôt que tant d’autres choses.

La petite, trouvant cela drôle, le répéta plusieurs fois, et se prit à rire de ce rire argentin et grêle particulier aux grisettes et aux grandes dames. Je lui fis boire plusieurs verres coup sur coup, et elle commença à entrer en gaieté : ses joues se rosaient comme de la tisane de Champagne, son œil s’allongeait comme une amande, sa tête se couchait sur son épaule, et elle chantonnait tout en babillant une chanson de Béranger, dont elle me battait la mesure sur les os des jambes avec ses jolis petits pieds. La trouvant à point, je commençai à lui baiser le col et les épaules : elle me laissait faire. J’ai chaud, dit-elle en passant ses mains sur son front ; et elle jeta par-dessus sa tête le fichu qui gênait mes caresses. Jusque-là tout allait on ne peut mieux. Je posai mes lèvres sur sa gorge à moitié découverte : elle ne fit pas encore de résistance.

— Mais je ne vois pas trop dans tout cela quel est le motif qui a manqué te faire croire à la vertu un soir durant, ô Roderick, mon ami très-cher !

— Si tu ne m’avais interrompu, stupide béotien que tu es, tu le saurais il y a longtemps. J’essayai plus : alors ce fut un combat dont tu n’as pas d’idées ; elle me coulait entre les doigts comme une anguille, et il y avait dans sa physionomie une impression d’effroi si vraie, si énergique, qu’il était impossible de le croire joué ; elle tournait ses yeux