Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/59

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Puis, je n’ose l’avouer qu’en tremblant, dans ce siècle d’incrédulité, cela pourrait faire passer mon pauvre ami pour un imbécile : il avait peur. De quoi ? Je vous le donne à deviner en cent ; il avait peur du diable, des revenants, des esprits et de mille autres billevesées ; du reste, il se moquait d’un homme, et de deux, comme vous d’un fantôme.

Le soir il ne se fût pas regardé dans une glace pour un empire, de peur d’y voir autre chose que sa propre figure ; il n’eût pas fourré sa main sous son lit pour y prendre ses pantoufles ou quelque autre ustensile, parce qu’il craignait qu’une main froide et moite ne vînt au-devant de la sienne, et ne l’attirât dans la ruelle ; ni jeté les yeux dans les encoignures sombres, tremblant d’y apercevoir de petites têtes de vieilles ratatinées emmanchées sur des manches à balai.

Quand il était seul dans son grand atelier, il voyait tourner autour de lui une ronde fantastique, le conseiller Tusmann, le docteur Tabraccio, le digne Peregrinus Tyss, Crespel avec son violon et sa fille Antonia, l’inconnue de la maison déserte et toute la famille étrange du château de Bohême ; c’était un sabbat complet, et il ne se fût pas fait prier pour avoir peur de son chat comme d’un autre Murr.

Dès que Jacintha fut partie, il s’assit devant sa toile, et se prit à réfléchir sur ce qu’il appelait les événements de la matinée. Le cadran de Saint-Paul, les moustaches, les pinceaux durcis, les vessies cre-