Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/68

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déjà ébranlée. En voici un qui l’avait frappé, et qu’il m’a raconté plusieurs fois depuis.

« J’étais dans une chambre qui n’était pas la mienne ni celle d’aucun de mes amis, une chambre où je n’étais jamais venu, et que cependant je connaissais parfaitement bien : les jalousies étaient fermées, les rideaux tirés ; sur la table de nuit une pâle veilleuse jetait sa lueur agonisante. On ne marchait que sur la pointe du pied, le doigt sur la bouche ; des fioles, des tasses encombraient la cheminée. Moi, j’étais au lit comme si j’eusse été malade, et pourtant je ne m’étais jamais mieux porté. Les personnes qui traversaient l’appartement avaient un air triste et affairé qui semblait extraordinaire.

« Jacintha était à la tête de mon lit, qui tenait sa petite main sur mon front, et se penchait vers moi pour écouter si je respirais bien. De temps en temps une larme tombait de ses cils sur mes joues, et elle l’essuyait légèrement avec un baiser.

« Ses larmes me fendaient le cœur, et j’aurais bien voulu la consoler ; mais il m’était impossible de faire le plus petit mouvement, ou d’articuler une seule syllabe : ma langue était clouée à mon palais, mon corps était comme pétrifié.

« Un monsieur vêtu de noir entra, me tâta le pouls, hocha la tête d’un air découragé, et dit tout haut : « C’est fini ! » Alors Jacintha se prit à sangloter, à se tordre les mains, et à donner toutes les démonstrations de la plus violente douleur : tous ceux qui étaient dans la chambre en tirent autant. Ce fut un