Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/78

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baiser le plus enragé que jamais femme ait donné à un homme. Plusieurs personnes la virent ; elle ne rougit même pas : elle était si enivrée, si folle et si fière de son succès, qu’elle se serait, je crois, prostituée à lui dans cette loge et devant tout le monde. Plusieurs voix crièrent : Le voilà ! le voilà ! Le drôle prit un air modeste, et salua profondément. Le lustre, qui s’éteignit, mit fin à cette scène. Je n’essayerai pas de décrire ce qui se passait dans moi ; la jalousie, le mépris, l’indignation, se heurtaient dans mon âme ; c’était un orage d’autant plus furieux que je n’avais aucun moyen de le mettre au dehors : la foule s’écoula, je sortis du théâtre ; j’errai quelque temps dans la rue, ne sachant où aller. La promenade ne me réjouissait guère. Il sifflait une bise piquante : ma pauvre âme, frileuse comme l’était mon corps, grelottait et mourait de froid. Je rencontrai une fenêtre ouverte, j’entrai, résolu de gîter dans cette chambre jusqu’au lendemain. La fenêtre se ferma sur moi : j’aperçus assis dans une grande bergère à ramages un personnage des plus singuliers. C’était un grand homme, maigre, sec, poudré à frimas, la figure ridée comme une vieille pomme, une énorme paire de besicles à cheval sur un maître-nez, baisant presque le menton. Une petite estafilade transversale, semblable à une ouverture de tirelire, enfouie sous une infinité de plis et de poils roides comme des soies de sanglier, représentait tant bien que mal ce que nous appellerons une bouche, faute d’autre terme. Un an-