Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/79

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tique habit noir, limé jusqu’à la corde, blanc sur toutes les coutures, une veste d’étoffe changeante, une culotte courte, des bas chinés et des souliers à boucles : voilà pour le costume. À mon arrivée, ce digne personnage se leva, et alla prendre dans une armoire deux brosses faites d’une manière spéciale : je n’en pus deviner d’abord l’usage ; il en prit une dans chaque main, et se mit à parcourir la chambre avec une agilité surprenante comme s’il poursuivait quelqu’un, et choquant ses brosses l’une contre l’autre du côté des barbes ; je compris alors que c’était le fameux M. Berbiguier de Terre-Neuve du Thym, qui faisait la chasse aux farfadets ; j’étais fort inquiet de ce qui allait arriver, il semblait que cet hétéroclite individu eût la faculté de voir l’invisible, il me suivait exactement, et j’avais toutes les peines du monde à lui échapper. Enfin, il m’accula dans une encoignure, il brandit ses deux fatales brosses, des millions de dards me criblèrent l’âme, chaque crin faisait un trou, la douleur était insoutenable : oubliant que je n’avais ni langue, ni poitrine, je fis de merveilleux efforts pour crier ; et… »

Onuphrius en était là de son rêve lorsque j’entrai dans l’atelier : il criait effectivement à pleine gorge ; je le secouai, il se frotta les yeux et me regarda d’un air hébété ; enfin il me reconnut, et me raconta, ne sachant trop s’il avait veillé ou dormi, la série de ses tribulations que l’on vient de lire ; ce n’était pas, hélas ! les dernières qu’il devait éprouver réel-