Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/89

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taient et sautelaient dans la résille comme des poissons dans un filet ou des papillons sous un mouchoir.

Le pauvre poëte était à la torture, des gouttes de sueur ruisselaient de ses tempes. Quand tout fut fini, le dandy prit délicatement les rimes et les pensées d’Onuphrius par les ailes et les serra dans son portefeuille.

— Bien, très-bien, dirent quelques hommes poëtes ou artistes en se rapprochant d’Onuphrius, un délicieux pastiche, un admirable pastel, du Watteau tout pur, de la régence à s’y tromper, des mouches, de la poudre et du fard, comment diable as-tu fait pour grimer ainsi ta poésie ? C’est d’un rococo admirable ; bravo, bravo, d’honneur, une plaisanterie fort spirituelle ! Quelques dames l’entourèrent et dirent aussi : Délicieux ? en ricanant d’une manière à montrer qu’elles étaient au-dessus de semblables bagatelles quoique au fond du cœur elles trouvassent cela charmant et se fussent très-fort accommodées d’une pareille poésie pour leur consommation particulière.

— Vous êtes tous des brigands ! s’écria Onuphrius d’une voix de tonnerre en renversant sur le plateau le verre d’eau sucrée qu’on lui présentait. C’est un coup monté, une mystification complète ; vous m’avez fait venir ici pour être le jouet du Diable, oui, de Satan en personne, ajouta-t-il en désignant du doigt le fashionable à gilet écarlate.

Après cette algarade, il enfonça son chapeau sur ses yeux et sortit sans saluer.