Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/124

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sorcières enfourcher un balai pour retourner chez elles ; mais il paraît que ce n’est pas l’usage en Afrique, et elles s’en allèrent à pied.

Ivre de ce spectacle vertigineux, je suivis mon compagnon d’un pas chancelant ; mais, oubliant sa recommandation de ne pas quitter des yeux son fanal, à un brusque détour de ruelles, je perdis de vue mon étoile polaire ; quelques pas faits dans une fausse voie pour retrouver la clarté propice m’eurent bientôt égaré au milieu de l’ombre la plus épaisse, la plus opaque, la plus impénétrable.

Après quelques allées et venues à tâtons, je me sentis pris, comme un coquillage dans un bloc de marbre noir, dans cette pâte d’ombre épaisse. Nulle lumière aux fenêtres, par la bonne raison que les fenêtres ne s’ouvrent pas sur la rue à Constantine. J’étais aussi perdu que le peintre Robert au fond des catacombes de Rome, et le vers célèbre de Delille :


Il ne voit que la nuit, n’entend que le silence,


s’appliquait à ma situation avec une trop déplorable justesse. Je suivais les murailles en les touchant de la main, mais je ne faisais que tomber d’obscurité en obscurité.